Article proposé par JeanClaudeGrognet, paru le 13/10/2009 13:17:01 Rubrique : Culture générale, lu 5414 fois. Pas de commentaires |
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Le trotteur du Norfolk avant-coureur du
cheval de route moderne
La
plupart de ceux qui s’intéressent à l’élevage de chevaux connaissent l’histoire
du pur sang anglais, ses origines et la part qui lui revient dans
l’amélioration des chevaux de nombreux autres pays; mais on connaît moins
l’évolution de certaines autres races légères anglaises qui jouèrent également
un rôle dans le processus et dont la plus répandue était sans doute celle du
trotteur du Norfolk.
Le Norfolk est un Comté du Sud-Est de l’Angleterre bordé par la mer du Nord, où il existait une race indigène de chevaux, décrite ainsi par John Marshall dans «The Rural Economy of Norfolk», publié en 1787: « une race de petite taille, à bouche brune, remarquablement vigoureuse et persévérante au travail en dépit de sa fine ossature.» D’autres chroniqueurs de la fin du 18e siècle furent aussi favorablement impressionnés par cette race indigène qui allait donner naissance à une lignée remarquable de trotteurs. Le Norfolk est seulement séparé des Pays-Bas par un court voyage en mer et à une certaine époque, le commerce de la laine fleurissait entre les deux pays.
Phanomenon à l’age de 12 ans tableau de (J.N Sarorius)
On ignore si les trotteurs du Norfolk étaient apparentés
aux fameux hard-dravers des Pays-Bas, mais on sait que des chevaux
flamands furent importés dans cette partie de l’Angleterre.
L’amélioration des routes anglaises au dix- huitième
siècle déclencha un véritable boom du voyage et les bons chevaux de route
prirent une très grande importance. Vers la fin du siècle, les géniteurs de
bons trotteurs étaient très recherchés et il s’avéra que les meilleurs
descendaient tous d’un cheval nommé «Shales» ou «Shields».
«Shales» vit le jour dans le Norfolk autour de l’année 1755. Ses parents
étaient le pur sang «Blaze» engendré par «Flying Childers», et une poulinière
aux origines inconnues.
Malheureusement, plus d’un siècle s’écoula avant la constitution d’un registre pour ces chevaux, mais l’existence de deux fils de «Shales» est documentée: «Scot Shales» naquit en 1762 et «Driver» en 1766. On ignore tout des origines de la poulinière qui mit bas «Scot Shales», tandis que celle de «Driver» descendait de «Foxhunter», un fils du pur sang «Sampson».
La progéniture de ces deux chevaux incluait parmi les plus illustres trotteurs de leur temps et les documents historiques relatent leurs succès aux «matches», disputés parfois sous forme de courses entre deux chevaux, ou alors on pariait qu’un cheval couvrirait une certaine distance au trot dans un temps donné. Des sommes d’argent importantes étaient souvent mises en jeu.
Etalon du Norfolk montrant ses allures - Aquarelle Edwin Cooper 1823
Dans le «Sporting Magazine» on peut lire qu’en 1783, un
match se déroula sur la route qui mène de Londres à Epsom. Une jument
appartenant à James Aldridge devait faire 27,75 km au trot en une heure, chargée de 76,2 kg; pari gagné puisqu’elle mit 57 miunutes et 20
secondes.
Mais une autre jument, «Phenomenon», mise bas en mai 1788 à Melton Park, dans le Norfolk, était considérée comme la meilleure trotteuse. Son géniteur était «Othello», un cheval qui avait accompli 17 milles en une heure et que le duc de Leeds avait ensuite acheté pour 1 800 guinées. A douze ans, «Phenomenon» fut mise au défi de parcourir 17 milles en une heure et elle y parvint en 56 minutes. Il y eut cependant contestation sur la précision du chronométrage et des grosses sommes furent pariées à la répétition du match car on était certain qu’elle ne parviendrait pas à répéter son exploit.
Mais
la fantastique jument fit même mieux: elle accomplit le parcours en 53 minutes
à quelques secondes près, soit à une vitesse de 31 km/h.
Le plus illustre fils de «Driver» était «Fireaway», de
Jenkinson, un étalon né en 1780. On prétendait de Fireaway qu’il avait fait 2
milles en 5 minutes sur la route d’Oxford et aussi qu’à Londres «une saillie
par lui avait coûté cinq guinées pendant plusieurs années», ce qui était énorme
à l’époque.
Le transport en carrosse atteignit son apothéose en
Angleterre à la fin du 18e et dans le premier quart du 19e siècle et les jeunes
tempéraments fougueux de l’époque se découvrirent une véritable passion pour
l’attelage. La bande de jeunes qui gravitait autour du Prince Régent notamment
s’en donnait à coeur joie à Brighton et ailleurs. Bon nombre des meilleurs
trotteurs de l’époque appartenaient aux personnalités les plus illustres du
Royaume. Le Prince Régent, alors qu’il était déjà monté sur le trône comme
Georges IV, convoitait un trotteur qui appartenait au duc de Hamilton et il
envoya Matt Milton, un marchand de chevaux de Londres, l’acheter en Ecosse.
Matt offrit 1 000 guinées au duc de Hamilton qui lui répondit froidement:
«Dites-lui que si le roi peut s’offrir un cheval à 1 000 guinées, je le peux
aussi.»
Mais dans l’ensemble, les propriétaires terriens de
l’aristocratie s’intéressaient davantage à la chasse au renard et aux courses
qu’aux trotteurs, rabaissés à leurs yeux aux couches sociales inférieures, aux
nouveaux riches qui avaient fait fortune dans le commerce. Mais les comptes
rendus de divers matches de trotteurs publiés dans les revues sportives
incitèrent néanmoins les éleveurs d’autres districts à acheter du matériel de
monte dans le Norfolk. « Pretender», de Wroot, meilleur fils du « Fireaway » de
Jenkinson, fut emmené dans le Yorkshire en 1806. Dans le Comté de Yorkshire,
situé dans le Nord-Est de l’Angleterre, l’élevage de chevaux avait une longue
tradition. A partir du 18e siècle, on y utilisa beaucoup de bêtes de sang pour
l’élevage des chevaux de chasse, des carrossiers et des chevaux de route, mais
les marchands de chevaux de Londres se plaignaient que trop de sang noble avait
produit une race chétive tout en jambes avec une ossature trop fine. Le
croisement de trotteurs du Norfolk avec des juments du Yorkshire donna
un type de trotteur plus grand et plus élancé que ceux du Norfolk.
Très vite, la réputation des trotteurs du Norfolk se répandit dans toute l’Europe. Dans son «Traité des Courses au Trot», publié en France en 1842, Ephrem Houel attribua le succès des éleveurs britanniques au fait qu’aucun étalon n’était utilisé pour la reproduction avant d’avoir fait ses preuves et il recommanda que les différents haras organisent des courses de trot pour tester le matériel. Parfaitement conscient qu’il n’existait pas de courses de trot à proprement parler en Angleterre, il affirmait cependant que les matches de trot non officiels permettaient aux éleveurs d’apprécier la valeur de la progéniture de différents producteurs et d’améliorer ainsi la race. Il ne voyait pas pourquoi des courses de trot organisées en France n’aboutiraient pas au même résultat plus rapidement. Un peu plus tard, de nombreux trotteurs du Norfolk partirent pour la France et aidèrent à y fonder la race anglo-normande.
D’autres acheteurs européens importaient d’ores et déjà des juments et
des étalons du Norfolk. Dans la plupart des pays preneurs, le gouvernement
encourageait l’élevage de chevaux et le contrôlait même dans une certaine
mesure dans le souci d’assurer le ravitaillement en chevaux en période de
guerre. En 1841, e quotidien «Yorkshire Gazette)) mentionnait que 15 étalons
destinés au grand duc de Hesse étaient partis de Hull. L’un d’eux, le
«Wildtire» de Ramsdale, était un descendant du fameux «Fireaway» de Jenkinson,
élevé dans le Yorkshire.
Faschion étalon né au Norfolk
Aux Etats-Unis, l’intérêt pour les trotteurs rapides
naquit au début du 19e siècle et les courses au trot devinrent un sport très
populaire dans le premier quart du siècle. «Belifounder», un trotteur du
Norfolk né en 1816, arriva à Boston en juillet 1822 où il devint l’un des
chevaux-pères du trotteur américain.
En 1860, le gouvernement d’Autriche-Hongrie importa
«North Star», un étalon brun/noir qui fonda à Mezôhegyes une lignée aujourd’hui
encore connue comme la lignée North Star. Les publications officielles
qualifient North Star de pur-sang, alors qu’il était en fait un cheval de route
originaire du Yorkshire et l’arrière-petit-fils du »Wildfire» de Ramsdale, le
cheval acheté par le grand duc de Hesse. » North Star» avait été élevé dans le
Yorkshire par la famille Cook dont la célèbre lignée de chevaux de route avait
beaucoup de sang noble dans les veines, mêlé à celui des trotteurs du Nortolk.
Le certificat d’origine de «North Star» montre presque 50% de sang noble.
Après 1840, les matches de trot disparurent presque totalement des routes anglaises et les courses de trot n’y devinrent jamais populaires. Mais vers le milieu du siècle, la demande de chevaux d’attelage avec une action élégante s’accrut. Les chemins de fer desservaient désormais pratiquement tout le pays, si bien qu’on n’avait plus besoin de chevaux rapides pour les longues distances. Dès lors, les efforts des éleveurs du Norfolk ne portèrent plus sur la rapidité des chevaux, mais sur une action relevée et ils exhibèrent leurs chevaux avec style aux présentations et aux foires rurales.
Les étalons furent promenés avec la collection des
médailles remportées autour du cou. Mais heureusement, les marchands de chevaux
exigeaient des animaux sains avec une bonne conformation extérieure et pas
seulement une action élégante, ce qui empêcha la dégénérescence qu’aurait pu
entraîner l’exagération d’une seule qualité déterminée.
Quand les éleveurs réalisèrent enfin la nécessité d’un
registre pour la race, l’élevage des trotteurs avait déjà essaimé dans de
nombreuses régions de l’Angleterre et du Norfolk, si bien que la nouvelle
association fut appelée Hackney Stud Bock Society pour n’offenser personne.
L’association fut fondée en 1883 et deux ans plus tard, elle organisa sa
première présentation dans l’Agricultural Hall à Londres. Les chevaux
sélectionnés par le jury furent inspectés par un groupe de vétérinaires et
seuls les animaux déclarés sains furent primés.
La Hackney Horse Society, comme on prit bientôt
l’habitude de l’appeler, attachait beaucoup d’importance à la pureté du sang
comme la plupart des autres associations d’élevage britanniques et bien que les
juments pouvaient être enregistrées sans certificat d’origine après inspection,
cette mesure ne fut que temporaire. Le seul sang étranger autorisé était celui
d’un croisement avec un pur sang, compte tenu du rôle que les étalons de sang
avaient joué tout au long de la période formative de la race et parce qu’on
avait le sentiment que le sang oriental nécessitait un rafraîchissement de
temps en temps. En vérité, peu de nouveau sang pur a été introduit dans la race
depuis l’ouverture du registre.
Aux premières présentations, les chevaux avaient
seulement été montrés en main, mais les concours de chevaux commençaient à
foisonner dans tout le pays et certains d’entre eux comportaient des catégories
pour chevaux harnachés. Vers 1890, un certain nombre de chevaux se
distinguaient par une action brillante et quelques entraîneurs professionnels
se spécialisèrent dans le développement de l’action.
Optimistic et Illumination. Miss Sylvia Brocklebank et son magnifique tandem de parade qui de 1912 à 1921 était vraiment imbattable (tableau H.H. Jones)
Simultanément, il existait une forte demande de chevaux
militaires et de chevaux d’attelage légers presque partout dans le monde. En
1892, plus de 100 étalons hackneys furent exportés dont 78 à destination des
Etats-Unis. L’année précédente, le gouvernement italien avait acheté 28
étalons. Un marché important fut conclu avec les Japonais en 1897 et les
livraisons annuelles à ce pays se poursuivirent jusqu’en 1923.
Ce marché particulier demandait un cheval bien campé, actif, mesurant 157cm à
162cm de haut, avec une ossature ample et un bonne action, mais pas
nécessairement relevée.
Les meneurs amateurs appréciaient aussi ce type de cheval pour leurs attelages de ville et beaucoup d’enthousiastes de l’attelage en France, en Allemagne et aux Pays-Bas en importèrent. Benno von Achenbach, fervent admirateur du meilleur en tout, menait des hackneys appartenant au Geheimrat Vorster et à d’autres propriétaires.
L’exportation d’étalons hackneys pour l’élevage de
chevaux d’attelage et militaires commença à décliner à l’aube de ce siècle pour
s’éteindre à peine la première guerre mondiale terminée. Un des derniers
étalons hackneys à partir pour l’Allemagne fut le rouan et aubère clair
«Capenor Mormal Forester» qui engendra «Tora», un grand cheval de concours qui
avait pour mère une jument descendue du pur-sang Blauer Vogel. La jument «Tora»
et son cavalier, le lieutenant Hasse, remportèrent la médaille d’or
individuelle aux jeux olympiques de 1936. La même poulinière qui avait donné la
vie à Mormal Forester avait également mis bas «Black Capenor», un des plus
grands chevaux de présentation de son époque, montrant que le hackney était
toujours capable de transmettre à sa descendance ce courage et cette agilité
qui avaient bâti la renommée de ses ancêtres.
Avec la disparition du marché pour étalons, les
agriculteurs des Comtés de l’Est de l’Angleterre abandonnèrent l’élevage de
hackneys et seuls les éleveurs de chevaux de concours empêchèrent la
disparition de la race. Les Etats-Unis offraient un marché restreint mais
lucratif pour les bons chevaux de concours mais en Europe, seuls les Hollandais
organisaient des présentations semblables à celles connues en Angleterre et on
y élève toujours des hackneys. Dans les années 30, les Italiens achetèrent un
attelage à deux pour que le Duce puisse parcourir la ville éternelle en grandes
pompes.
La dépression économique des années 30 mit un frein à la demande de chevaux de
concours puis, quand la guerre éclata en 1939, la pénurie d’essence provoqua
une brève réapparition des chevaux d’attelage en Angleterre.
Les concours pour hackneys attelés reprirent en 1946 et
ils tirent beaucoup d’adeptes. La loi interdisant le sectionnement des queues,
adoptée en 1948, n’enleva rien à cet enthousiasme, malgré les sombres
prédictions des traditionalistes. L’intérêt accru pour l’attelage en tant que
passe-temps a ouvert des nouveaux débouchés aux hackneys en Angleterre et
ailleurs et certains hackneys ont disputé des épreuves combinées d’attelage
avec succès, mais le marché reste limité dans l’ensemble.
Et pourtant il y a bon lieu d’espérer, en cette année où
l’association d’élevage fête son centenaire, que le hackney restera encore
longtemps le «prince du cheval d’attelage».
Tom Ryder
Editeur, The Carriage Journal In Memoriam Achenbach 3/84