Article proposé par Ricola, paru le 02/08/2009 08:29:53 Rubrique : Culture générale, lu 3906 fois. Pas de commentaires |
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A LA RECHERCHE DES JOUMARS
Mes errances sur le net m’ont conduit sur le site de la bibliothèque nationale où l’on peut télécharger certains vieux manuscrits. C’est ainsi que j’ai une copie numérique du « nouveau parfait maréchal ou la connoissance générale et universelle du cheval » par M. FR. A. DE GARSAULT. L’ouvrage date un peu, les connaissances et techniques ont évoluées, pourtant à la rubrique « du haras » un chapitre est intitulé « de la monte pour faire des mulets et des joumars » je vous confesse mon inculture équestre, je n’avais jamais entendu parler de joumars. Je prie les encyclopédistes qui connaissent d’excuser cet article, mais pour les autres je vous donne en « vieux françois » le contenu de ce chapitre.
« Le mulet et la mule, font des animaux monftrueux, engendrez le plus communément par un âne & une jument & rarement par un cheval & une âneffe. Les joumars mâle et femelle, font pareillement monftrueux, puifqu’ils proviennent du taureau & de la jument ou de l’aneffe, ou de l’âne & de la vache : ces deux efpéces d’animaux n’engendrent point leurs femblables, quoiqu’ils ayent en apparence tout ce qu’il faut pour cela.
Les mulets font beaucoup plus communs que les joumars, attendu qu’on en tire beaucoup plus d’avantage, fur-tout pour la guerre ; ils tiennent de l’âne, la bonté du pied, la fûreté de la jambe& la fanté : ces animaux ont les reins très forts & portent beaucoup plus pefant que le cheval : quelques-uns ont des allures affez agréables ; mais cela eft très rare, car communément ils ont le pas fec, trottent très dur & galopent fous eux.
Le joumart eft un petit animal un peu plus grand qu’un âne; mais exceffivement fort, la tête reffemble affez a celle du taureau, ayant le front très large & le bout du nez gros, de façon que quand on le voit en face, on croiroit que c’eft un taureau fans cornes : les joumars font communs en Dauphiné, on ne s’en fert que pour porter des fardeaux.
Quand on veut avoir un mulet, on préfente à l’âne une aneffe : puis quand il eft prêt à couvrir, on fait prendre la place de l’aneffe à une jument bien en chaleur ; il en eft de même pour faire des joumars : on prefente une vache au taureau, ou une aneffe à l’âne, puis on leur fuppofe la jument, la bourique, ou la vache : le joumart venu du taureau avec la jument, ou l’aneffe, eft différent du joumart provenant de l’âne & de la vache, en ce que celui-ci n’a point de dents de devant à la mâchoire fupérieure.
Si ces mères n’ont pas retenu, elles peuvent redevenir en chaleur, & on les fait recouvrir jufqu’à ce que leur chaleur foit paffée, ainfi qu’il eft dit des chevaux. »
Parti à la recherche des joumars et les moteurs de recherche ne donnant rien, on arrive bien vite sur le nom jumard ou jumart et une longue polémique entre les naturalistes du XVIIIéme siècle. Le dictionnaire de l’académie française de 1798 donne une définition prudente : jumart substantif masculin animal engendré d’un taureau et d’une ânesse, d’un âne et d’une vache, d’un cheval et d’une vache, d’un taureau et d’une jument. Quelques personnes nient l’existence des jumarts, d’autres l’assurent.
Claude Bourgelat, le créateur de l’école vétérinaire de Lyon en1761 en fait une description précise dans une correspondance avec le naturaliste C Bonnet et affirmait en avoir produit un en mettant un étalon navarrais avec une vache, l’animal ne vécut que 4 mois et était plus proche de la vache que du cheval. Par ailleurs il signale que plusieurs cas avaient été présentés à l’école vétérinaire de Lyon et que le Dauphiné était certainement une région propice à leur génération. Le musée Fragonard conserve une tête osseuse de jumard datant de cette époque où l‘on peut remarquer que les incisives de la mâchoire supérieur sont déportée vers l’arrière.
Parmi les détracteurs du jumart, on trouve Buffon qui s’appuie sur les faits suivants :
« En 1767 et années suivantes, dans ma terre de Buffon, le meunier avoit une jument et un taureau qui habitoient dans la même étable, et qui avoient pris tant de passion l’un pour l’autre, que dans tous les temps où la jument se trouvoit en chaleur, le taureau ne manquoit jamais de la couvrir trois à quatre fois par jour… …cependant il n’en a jamais rien résulté. » et de parler des « disconvenances de nature » entre ces espèces.
C’est bien le moins que l’on puisse dire et je n’ai pas trouvé si les jumarts décrits par Bourgelat avaient le sabot fendu comme un bovidé ou entier comme un équidé.
On les retrouve dans la littérature sous la plume de Voltaire et de Kant et dans une page de Mallarmé où il parle de « braire comme un jumard » et aussi dans le calendrier républicain de 1792 où les saints du jour sont remplacés par des plantes ou des animaux ; jumart c’est le 15 Messidor soit le 3 juillet.
Cet article n’a pas pour objet de susciter des vocations parmi les éleveurs pour tenter de produire une chimère, ni de prétendre apporter de réponses définitives sur l’existence passée de la bestiole ; deux hypothèses me séduisent toutefois, la première plus sérieuse est celle d’une malformation héréditaire rare transmise par un étalon Dauphinois, car il ne semble pas que l’animal soit répandu en dehors de cette région ; la seconde, bien que nous ayons en commun la moustache et la pipe, José Bové et moi, c’est que ses prédécesseurs anti-OGM du 18éme siècle aient exterminé cette race émergente et contre nature, pour l’amélioration future de la race chevaline. Une prochaine fois nous parlerons peut-être de la licorne.