Article proposé par Figoli, paru le 02/02/2009 09:19:42 Rubrique : L'attelage de Tradition, lu 2484 fois. Un commentaire |
|
"La vieille dame oubliée"
Berline dans son environnement vers 1780
Elle est là, dans son abri
ouvert, qui rêve peut-être au faste de sa jeunesse. A ses pieds, un chat
ronronne en lapant son bol de lait. Elle monte la garde à l'entrée du
musée Dupuy-Mestreau à Saintes.
On ne connait pas très bien
son histoire. Les quelques éléments amenés par la transmission orale ne sont
pas toujours vérifiés par les textes de l'époque.
Elle serait une copie de la "berline coupée de voyage" de
l'ambassadeur de Prusse en France.
Bien que les données soient contradictoires, on trouve sa trace pour la
première fois vers les années 1780 (sous réserve). Elle fut achetée
par Isaac Basset, négociant à Pons. Ce bourgeois avait eu
droit d'avoir des armoiries "5 petits bassets superposés".
On ne sait pas si ce premier propriétaire
connu en avait passé commande à un carrossier de province (éventuellement de
Bordeaux), ou s'il l'avait achetée d'occasion. Elle passa par mariage
aux Pandins de Lussaudière.
Brevet de compagnon
carrossier (musée Dupuy- Mestreau.Saintes)
Regardez la
bien. Comme moi, depuis ma plus tendre enfance, je suis sûr que vous
tomberez sous le charme.
Certes, ce n'est qu'une humble
berline coupée de voyage. Elle n'a pas le luxe de la "berline coupée de
gala" de la famille Tanari (musée de Compiègne), du "grand
coupé" de la présidence de la république (musée des carrosses de
Versailles) ou des "coupés" du musée des carrosses de Lisbonne.
Cependant, elle porte en elle
tout le savoir faire technique et artistique des carrossiers, tapissiers,
bourreliers, sculpteurs,.... de la fin du 18°. Elle est le témoignage des
innovations et de la compétence technique des compagnons de ces différents
corps de métiers.
Mais j'arrête de parler pour
vous laisser la regarder et, peut-être, vous aussi ...succomberez à son
charme.
La caisse
du coupé est jaune sinon ocre, sans aucune ornementation.
L'intérieur est tendu de velours d'Utrecht à ramage bleu sur un
fond clair.
Entre
les flèches parallèles, dites "Brancards de train", on remarque la
"cave". On y a accès par une trappe placée dans le fond de la voiture
sous les pieds des passagers. Cette cave servait à stocker les victuailles mais
aussi les objets de valeur et les armes.
Les
bagages quant à eux, étaient placés dans une galerie située sur le
"pavillon" (toit) de la caisse.
A l'arrière, se situe une planche pour arrimer les malles . Elle porte le
nom de "planche de magasin" du nom des paniers en osier
utilisés pour les voyages et appelés "magasins".
On distingue la "soupente" qui relie la
"bélière", fixée au ressort en C, au coin de la caisse.
Situées au niveau de la ceinture de la caisse, les
"courroies de guindage" limitent le gite provoqué par ce type de
suspension.
Notez la délicatesse des piqûres sur les cuirs.
Derrière le ressort en C est situé le "cric de
soupente".
Au XVII°, le
bandage n'était pas formé d'un
cercle de fer soudé posé à chaud.
Les jantes étaient protégées et assemblées par des bandes de
fer, posées bout à bout, et maintenues par des clous. Cette pratique était
encore utilisée fin XVIII°
Cette voiture est également remarquable par les sculptures
ornant les différentes parties du train.
Elle n'est certes pas aussi bien conservée que sa "sœur" du
Musée municipal de Thouars.
Berline coupée de Mr de Ligners par Thouet, France 1770-1780.
Musée municipal de Thouars
Elle ne peut
être ouverte ou déplacée sans risque. De plus, elle est actuellement attaquée
par des insectes. Les responsables du musée et de la Mairie ont bien
l'intention de la sauvegarder, mais ne trouvent malheureusement pas les
moyens financiers. Le seul traitement sous vide, contre les attaques
d'insectes, coûte, à lui seul, une fortune.
Alors, la vieille dame, pas
vraiment oubliée (car les responsables déjà cités cherchent des
solutions), attend ...avec son chat.
Malheureusement elle n'est pas
seule. Malgré les efforts d'experts (messieurs Roche, Libourel),...de mécènes
(messieurs Guerlain, ....), d'associations (les amis de
Chambord, l'Association Française d'Attelage, la société des amis des
haras Nationaux,...), la sauvegarde du patrimoine hippomobile français, y
compris dans nos musées Nationaux, est problématique. Les moyens financiers
manquent. Le problème est le même au niveau européen. Ainsi, des musées de
grande envergure se sont unis dans l'association: Carriage Europe.
(Les associations sont accessibles par les liens du
site Attelage Patrimoine).
Alors, notre vieille dame,
berline de voyage "ordinaire", face à la misère des moyens
donnés à la sauvegarde des véhicules hippomobiles, risque fort de se détériorer
jusqu'à.... ne plus exister.
Je me suis senti impuissant de
voir dans cet état le "carrosse" de mon enfance.
Je me suis alors dit, que de faire connaître sa situation, est un moyen de
participer modestement à son sauvetage.
Texte, photos Figoli , article Attelage-Patrimoine