Article proposé par JeanClaudeGrognet, paru le 18/01/2008 16:47:31 Rubrique : Culture générale, lu 2706 fois. Pas de commentaires |
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Cela ne faisait de doute pour personne une grève guidée par des cochers et conduite par des conducteurs de profession devait rouler à fond de train. En 48 heures, en effet, sans cahots elle arrivait à destination, la Compagnie seule, peut-être, un peu malmenée le long du chemin.
Montrons-en d’abord les acteurs. Le cocher réglementaire et le conducteur.
Le conducteur a l’air perplexe; quant au cocher, regardez-le, son bout de cigare à la bouche, l’attitude bonasse, mais l’œil matin ; lui, il se sait le pivot et de la grève, irremplaçable; il a le permis, lui, sans lui pas d’omnibus possible ! et moi, a-t-il l’air de dire, moi, on ne m’aura qu’avec des concessions; on-ne-me-rem-pla-ce-ra-pas !
Et de fait il a raison, voyez son remplaçant, le cocher improvisé; non vraiment ce n’est pas ça et franchement, je vous le demande, confieriez-vous votre tête et vos trois sous à un pareil guide ? Poser la question, c’est la résoudre.
Il faut maintenant détruire une légende : on a parlé d’encombrement, de files innombrables de gens furieux attendant en maugréant devant les bureaux d’omnibus, de Paris troublé, que sais-je encore ! Eh bien, de tout ça, voyez ce qu’il en reste. Ne se croirait-on pas revenu au temps de l’Exposition universelle, où les carrioles et tapissières suppléaient au service des omnibus absolument insuffisant ? Voyez : tout y est, l’inscription à la craie sur les panneaux, ou au charbon sur la tente blanche; tout jusqu’au gamin du premier plan qui nous assourdit de son cri : Montrouge ! Montrouge ! comme jadis Exposition ! Exposition ! Et, comme jadis on s’entasse en riant. Trop spirituel le Parisien pour se fâcher.
Voulez-vous maintenant la note triste ? Voyez, sur le boulevard Sébastopol, ces quatre grands débris qui se consolent entre eux.
Quatre voitures de tramways dételées, abandonnées sur la voie publique, mélancoliques et tristes : elles regardent l’espace devant elles de leurs lanternes comme de deux grands yeux vides, et, ne voient pas de chevaux venir; c’est en vain que leurs timons se dressent en l’air comme des bras éplorés se tendant vers la force publique qui, sous la forme de deux agents, les garde ; ils ne rencontrent partout que l’indifférence et l’abandon, malheureuses victimes de la grève qui ont payé les pots... je veux dire les vitres cassées.
A la Chapelle c’est un autre tableau : on pourrait l’appeler le cauchemar d’un actionnaire. L’omnibus est dételé, sans chevaux, mais il marche, grâce à la pente, omnibus-fantôme, sans voyageurs, sans conducteur, avec l’impériale bondée de cochers en grève qui ont voulu s’offrir le régal de jouer au voyageur.
Au fond de tout cela qu’y a-t-il en définitive ? Une grève sérieuse qui s’est gaiement déroulée, non sans quelque bruit, devant un public plutôt sympathique qu’indifférent qui a enfin eu cette originalité, ayant été faite par des hommes, de profiter d’abord à des animaux. Voyez-les, à l’écurie, s’en donner a cœur joie : à vous les ruades, bienheureux chevaux, de l’avoine à discrétion et rien à faire, n’est-ce pas là, pour vous, le comble du bonheur?
Avec l’aimable autorisation de Michel Barbier, rédacteur en chef de la Vieille France