Peut on raisonnablement les laisser faire ?
Chaque année au printemps, il n’est pas rare pour celui qui aime à se promener le long des terrains de concours d’attelage, de découvrir les jeux amoureux auxquels se livrent meneurs et juges pour se séduire.
Sûre de son pouvoir, la juge se pare se son plus beau chapeau et de son règlement pour mieux inspirer les meneurs.
La juge est par essence, peu enclin à se laisser séduire par le premier meneur venu. Aussi chaque année, elle impose à ses prétendants de nouvelles règles. Frivole au delà du raisonnable mais terriblement exigeante, elle s’attache à changer de champion à chaque saison et parfois même à chacune de ses sorties.
Ce comportement irresponsable entraîne des combats sans pitié auxquels les meneurs devront se livrer.
Pour plaire à sa juge et bourreau, le meneur revêt ses plus beaux habits. La juge étant très sollicitée, le meneur déroule devant elle sa plus belle danse et cherche à briller à ses yeux. Il gonfle le torse, allonge le pas, tourne et retourne devant elle, s’arrête, recule quant il le peut, et reprend sa course.
Le meilleur des meneurs arrive à rester arrêté pendant quelques instants pour solliciter un regard.
Il lui distribue alors ses plus beaux sourires crispés qu’elle finit par lui rendre pour le rendre plus attentionné encore.
Ne se sentant plus de joie, le meneur ouvre trop tôt un large cercle et tente une dernière gesticulation avant de disparaître dans le fond du classement.
Celle-ci, bien que captivée par ce spectacle, affecte l’indifférence et d’un geste las du chef, renvoie le meneur à ses notes.
Le meneur, très orgueilleux par nature, souhaite alors à lui montrer sa force et son courage et n’hésite pas à prendre le maximum de risques lors du parcours d’obstacles que la délicate lui a dessiné.
De nombreux meneurs malhabiles rencontrent des obstacles dont ils ne se remettent pas.
Dans un dernier sursaut d’orgueil, le meneur lui montre son habileté en naviguant au hasard entre des pièges qu’elle lui a dressés pendant la nuit. Rares sont les meneurs qui sortent indemnes d’une telle difficulté.
Puis, après avoir fait patienter pendant de longues heures ses meneurs fatigués, elle vient remettre au vainqueur de son choix le baiser tant mérité. Souriant et flatté, le vainqueur pardonne alors à ses concurrents désabusés en leur prodiguant des conseils d’ennemi.
Les autres meneurs non sélectionnés jurent mais un peu tard qu’on ne les y reprendrait plus.
Et pourtant…
PS : Ce texte aurait pu être inversé. Ainsi « le » meneur pourrait aisément transformer en « la meneuse » et « la » juge en « le » juge, mais chacun sait qu’il suffit à la meneuse d’utiliser son plus beau sourire pour déstabiliser le juge. Celui ci devient alors victime de son comportement et perd alors tout bon sens critique…