Bag pipe et chapeau melon ©

 

          - Qui n’a jamais vu Jean-Pierre Boucan faire une entrée solennelle un soir de gala lors d’un championnat de France d’attelage, n’a pas vécu toute la griserie de ces instants fébriles qui suivent le marathon et qui précèdent la maniabilité du lendemain, là où tous les espoirs sont encore permis.

          L’ambiance est électrique, absolument surchauffée. 

 

          Quand vient l’heure du dessert, un son à vous faire dresser les cheveux sur la tête surgit de nulle part.    S’avance alors, d’un pas majestueux, Jean-Pierre, inimitable de sérieux, le kilt battant le mollet, la poche du bag pipe coincée sous le bras gauche et les bourdons enrubannés fièrement déployés au-dessus de la tête.

          Une nuit sans lune, du haut d’une tour, il est probable que tous les fantômes d’Écosse s’enfuiraient en hurlant.

          Là, nous sommes béats, nous en redemandons.

          Alors, Jean-Pierre nous joue « Scotland the brave » puis, après nous avoir expliqué qu’il n’est ni écossais ni breton, enchaîne avec la « Paimpolaise » que nous reprenons tous en chœur derrière notre Joseph qui la chante si bien.

          Joseph Lévêque, comme chacun le sait, est breton.

          Ces moments-là font à jamais partie de l’attelage en France, et c’est un privilège de les avoir vécus.

          Quand Jean-Pierre, imperturbable, cesse de jouer, c’est pour se féliciter qu’il n’y ait pas eu de vent[1]…

          Ne lui demandez pas pourquoi, il ne répondra pas.

 

          Mais la soirée n’est pas terminée, car il revient avec sa trompe et là, c’est le délire.

          Quelques meneurs sonnent aussi qui ne partiraient jamais en concours sans leur instrument favori.

          Les voilà tous autour de lui, ressuscitant les chasses d’antan.

          Par courtoisie, ils sonnent « La calèche des dames », puis selon leur humeur, « Le sanglier » ou « La Rochefoucauld », fanfare de circonstance de Maître, ou bien encore « La Saint Hubert » pour terminer.

          Parfois Jean-Pierre veut bien nous expliquer.

          Il sonne alors « le roi Dagobert » comme nous le ferions peut-être si nous étions capables de sortir un son de cet instrument, c'est-à-dire fort mal.

          Puis il recommence, façon vénerie.

          Là, ça n’a plus rien à voir.

          Ça vous a de la gueule tout d’un coup.

          Ça vous colle même des frissons dans le dos.

 

          Le lendemain Jean-Pierre est de retour dans la tribune, avec chapeau melon ou Montecristi[2] selon la saison, toujours à l’affût d’un bon mot, d’une contrepèterie.

          Les concurrents eux, ne rigolent plus, car s’ils se trompent, s’il faut sonner, Jean-Pierre se hâtera avec lenteur, mais il… sonnera[3].

 

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                                                                                          © Julie Wasselin