Article proposé par JeanClaudeGrognet, paru le 05/09/2020 14:22:17 Rubrique : Interviews, lu 2940 fois. 9 commentaires |
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GILBERT GADOIS " ce n'est pas une blague ! "
Au téléphone la voix est rauque et profonde, elle sent bon le terroir, l'amitié est sans faille, comme les ruptures définitives… Gilbert Gadois comme Claudine son épouse, sont des gens discrets, absents des luttes de pouvoir depuis plus de 20 ans qu'ils exercent sur les terrains de concours. Ma proposition d'interview n'a pas été sans un moment de réflexion avant que je n'entende: « mais moi je ne suis rien, je ne suis qu'un petit juge, ma personne ne doit pas intéresser grand monde ».
Son terroir c'est la Mayenne, à quelques kilomètres du Meslay du Maine, dont il a été à l'origine du concours aujourd'hui spécialisé pour les chevaux de trait. Issu d'une famille modeste, le cheval se pratiquait dans les rêves.
GG: « Le cheval je l'ai eu très tôt dans la tête. Mes premières heures d'équitation je les ai faites sur un mur en pierre, une toile de jute sous mes fesses, et une chaîne en guise d'étrivières .... Je me suis promené à cheval longtemps comme ça… J'ai pu approcher les chevaux grâce a un voisin agriculteur qui possédait trois percherons. J'ai labouré avec lui et ses trois chevaux en ligne, avant qu'un jour il ne me laisse les guides, soit pour aller fumer une cigarette, ou pour aller au village dont il était membre du conseil municipal. J'avais beaucoup de mal à soulever le brabant, et j'y parvenais que grâce au coup de force de la jument de tête ! Ces percherons étaient très bien dressés et j'ai pris beaucoup de plaisir à les mener.
Appelé sous les drapeaux comme l'on disait à l'époque, mon service militaire je l'ai fait à Paris à l'Ecole Militaire ! Je n'avais pas le droit d'y monter à cheval, c'était réservé aux officiers et aux enfants de ministres, mais j'ai eu l'autorisation d'assister aux reprises du grand manège qui étaient dirigées par les cavaliers du Cadre Noir. Trente années plus tard, en discutant avec Vital Lepouriel, nous avons fait le rapprochement de cette période, pour constater qu'il était lui aussi présent à l'Ecole Militaire comme instructeur à cette période là ! »
Plus tard autour de ses 30 ans, le jeune Gilbert fait ses premières heures d'équitation en manège chez un ami loueur d'équidés. L'expérience venant, il encadre des randonnées, et pratique la chasse. L'attelage viendra avec l'ami qui pratiquait aussi la course attelée avec des trotteurs de son élevage.
GG :« Mon premier attelage a été constitué de poneys fjord avec lesquels j'ai fait quelques concours. J'ai d'ailleurs la fierté d'avoir battu Diana Cumberlège au concours de Carrouges, ce qui à l'époque n'était pas un mince exploit, Diana régnait en maître sur les attelages à deux poneys ! À l'époque il y avait beaucoup de petits concours d'entraînement »
Keno et Viennois
« j'ai arrêté la compétition assez vite. Ayant adhéré à l'ADAO (Association Départementale d'Attelage de l'Orne), j'ai fait la connaissance de Jean Pierre Maguin, de Jean Émile Brossard et de Louis Basty, ils sont aujourd'hui des amis. J'ai été un temps vice président de l'association. On a organisé des défilés et des concours. Sur leurs conseils, je me suis intéressé au jugement des épreuves d'attelage. C'était en 1993/1994, mais j'ai continué dans le même l'attelage pour mon loisir. Aujourd'hui j'ai 2 Franches Montagnes qui me font bien plaisir. J'ai fait quelques randonnées avec eux. J'attelle à 1 ou à 2.
Ici à Ecouves c'était pour l'inauguration des circuits attelage balisés, financés par le Conseil Général. J'ai eu le plaisir à cette occasion de transporter et de faire la connaissance Frank Lemestre, qui était le directeur du Haras du Pin un peu plus tard.
Présentation des attelages à Ecouves avec Scoubidou mon cheval fétiche
« L'attelage de Franches Montagnes. Mon petit fils qui a voulu tenir les guides, mais à un moment il m'a dit « tu sais j'ai un peu mal aux bras. Randonnée en forêt d'Écouves à quatre chevaux. Il y avait Jean Louis Heyberger, Pascal Hédiger, Jean-François Guilloteau, François Durand et d'autres … »
« En 2010 pour des raisons de santé, j'ai dû cesser d'atteler, de longer ou de faire des longues rênes. J'ai fait un rond de longe avec des clôtures électriques, et j'ai ainsi entraîné mes chevaux en liberté. J'en ai mis un, puis deux ensemble, puis un dans un sens et l'autre dans l'autre sens, et ce aux trois allures… Bref je me suis pris pour un bon, mais c'était les chevaux qui étaient bons !
« Je n'ai pas eu que des moments agréables avec l'attelage. J'ai fait figurant avec un attelage pour le film Coco Chanel avec Audrey Tautou au Haras du Pin. C'était avec une voiture ancienne avec bandages métalliques. Les chevaux n'ont pas du tout apprécié le bruit. C'est finalement avec deux chevaux entiers du haras que j'ai passé quelques instants devant la caméra mais aussi beaucoup de temps à attendre, à attendre, et encore à attendre ! Devant moi il y avait un attelage de Frédéric Hardy avec des juments... un supplice. Cinéma ou mariage, pour moi c'est à éviter, mais j'ai fait tout de même avec plaisir le mariage du fils de Joël Chandavoine, un autre ami parmi les amis, et ça ce n'est pas pareil. »
Pour le tournage de Coco Chanel
Les randonnées avec Jean Pierre Bouché
GG: « mes grands moments d'attelage et mes grands souvenirs sont associés à Jean Pierre Bouché, ce grand randonneur parmi les randonneurs ! Il m'a embarqué pour la Roumanie ce que je n'ai pas regretté. L'aventure a été fabuleuse. Nous sommes partis de Fleury en Champagne avec quatre poneys et un cheval. C'est un guide sur place qui nous a accompagné et introduit dans la population, dans une famille différente tous les soirs. Nous avons eu des contacts extrêmement riches, toujours très bien accueillis. J'ai rajeuni de 50 ans en voyant le ramassage du foin en vrac avec des chevaux ...Nous avons découvert la Roumanie dont on ignorait tout. Ils sont très pauvres, pour certains regrettant le temps de Nicolae Ceausescu, l'ancien Président, une époque où l'on était surveillé mais il y avait du travail, nous ont ils dit. »
« Randonnée en Roumanie - Nous étions aux guides alternativement avec Alain Decourty qui nous a accompagné et Nadine. J'ai avec Jean-Pierre des souvenirs indélébiles. »
« Dans les épopées avec Jean-Pierre il y a aussi la célèbre Route d'Artagnan »
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La Route d'Artagnan
La route Européenne équestre d'Artagnan
Née de la volonté de proposer un itinéraire équestre à dimension transnationale, les 5 routes qui démarrent de Lupiac (lieu de naissance de d'Artagnan) et se rendent à Maastricht (Lieu de sa mort). On peut ainsi partir sur les traces du célèbre gersois.
«Nous avons fait 3 randonnées d'une semaine. Tout avait été fait à la carte. Il va sans dire que nous avons eu des routes barrées, des chemins qui n'existaient plus…
Les étapes du soir étaient programmées, nous avons vécu de belles rencontres. C'est une grosse organisation, mais une épreuve extraordinaire.
Le 6 mai l'année dernière en Belgique, nous nous sommes réveillés sous la neige, mais nous avons continué la route, mais ce matin là Jean Pierre se posait beaucoup de questions pour continuer. Mais devant l'enthousiasme de l'équipe nous sommes repartis. Guy Matras le président des attelages de Champagne-Ardenne nous a toujours encouragés pendant cette randonnée.
Trois ministres belges nous ont reçus ainsi que des personnalités locales. Pour la grande soirée d'arrivée à la ferme d'Artagnan, puis au château de Maastricht nous avons été nommés " Mousquetaires du roi avec une remise de diplôme" !
L'attelage était constitué de deux poneys allemands au timon, et de deux poneys Dartmoor en volée. Des poneys qui ont fait avec Jean-Pierre le Maroc, la Pologne, l'Irlande, le sud de l'Espagne, la Roumanie et beaucoup d'autres randonnées…»
« L'attelage de la Route d'Artagnan l'arrivé à Maastricht : Dominique Pargny cartographe, JP Bouché, G.Gadois, et Gérard Pesson magicien dans le civil. Dans le camion lors d'une étape. Il faisait très froid, dans les gobelets ce n'est pas du rhum mais de la soupe... Nous avions changé la devise de d'Artagnan qui n'était plus [un pour tous, tous pour un], [mais tous pour un, Rhum pour tous]... Alors personne ne nous a crus ! Les poneys de Jean-Pierre étaient extraordinaires."
Parmi mes randonnées, il y a celle de Crozon et je voudrais citer Yvon Roudot chef de piste breton aujourd'hui décédé et sa femme Dany, avec qui nous avons passé une très belle semaine. Il y a bien d'autres disparus que je voudrais saluer, Patrick Michaud et Jean-Marc Coudry que j'ai beaucoup appréciés.
Il y a aussi une randonnée que j'ai organisée pour des belges et des hollandais sur le thème de l'alcool. Après être passés chez Jean-Pierre pour le Champagne, ils sont venus chez moi pour le Calvados ! Ils ont été logés au Village du Cheval à Bagnoles-de-l'Orne et nous avons circulé en forêt d'Andaines et visité le Haras du Pin. C'était des randonneurs difficiles à contrôler, des ogres pour manger et boire ! »
Scoubidou et Idole un Franche Montagnes gris de Jean-Pierre pour la Route du Calvados !
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Le juge et le speaker
« j'ai beaucoup d'amis chez les juges, les concurrents, les techniciens, et les organisateurs. Ils se reconnaîtront. Voici 25 ans que je suis dans la cabane du juge, et aujourd'hui j'annonce la fin de ma carrière pour la fin de l'année. J'ai connu beaucoup de Championnats de France, des finales SHF, avec dans ma poche des topettes de Calvados, de Mirabel ou du kirsch de ferme. Mes topettes vont laisser des souvenirs à certains, comme à Michaël Sellier qui a goûté à l'élixir du championnat du monde !»
Juge mais aussi speaker à Lisieux (photo Nadine Toudic) - Un debriefing des juges à Compiègne
Une petite dernière pour la nuit ...
Gilbert et Claudine Gadois |
Gilbert, monsieur blagues.
Gilbert Gadois a une solide réputation de bon vivant, toujours une bonne blague à raconter. Les soirées d'après concours sont rituellement ponctuées d'anecdotes pour le plus grand plaisir des autres convives.
« J'assume cette réputation. Auparavant dans les concours on chantait. L'ambiance a beaucoup changé. Il y a eu des concurrents bout-en-train qui mettaient de l'ambiance, comme Pascal Hédiger ou Jean-Pierre Bouché. Et puis il y a quelques années les choses ont changé avec l'annonce des JEM à Caen. J'ai fait circuler à l'époque une alerte virus, virus que j'ai appelé HPCE ( Hypertrophie du Périmètre Crânien Epidémique). Cela voulait dire que beaucoup prenaient la grosse tête, et jouaient des coudes pour se placer. J'ai annoncé que cela mettrait plusieurs années avant de se résorber, et qu'il en resterait toujours quelque chose. En réaction je n'ai pas voulu être bénévole et j'ai regardé les JEM à la télévision.
J'affirme aujourd'hui qu'il y a encore des séquelles parmi les concurrents et les juges, ce qui complique l'ambiance des concours. »
Quelques anecdotes
« Sur un concours dont je tairais le lieu, un meneur déroule une reprise catastrophique, méritant une note supérieure aux 80 points, donc éliminatoire. Le soir le meneur vient me voir pour me demander des explications sur sa reprise ce que je lui donne bien volontiers. L'échange se fait dans une ambiance tout à fait cordiale. Cependant, qu'elle a été ma surprise, lors ce que ce meneur s'en retournant, laisse voir sur l'arrière de son blouson qu'il est moniteur d'une école d'attelage à son nom … »
« Mon ami Pascal Hédiger était concurrent sur un concours que je présidais. L'ayant sonné deux fois pour erreur de parcours, il s'est approché de la tribune pour me dire [je t'en prie Gilbert, sonne moi une troisième fois que je sorte, je n'en peux plus]. C'est le seul concurrent dans ma carrière qui m'a demandé de l'éliminer. »
« Un meneur à quatre chevaux de trait tombe de sa voiture dans un gué. Le dos tout écorché, il a prétendu pendant deux heures ne pas avoir mis les pieds à terre... »
« Au registre des réclamations, il y en a une que je n'ai jamais digérée. Lors d'un marathon international, un meneur a contesté à grand bruit son élimination, dérangeant le président du jury et le responsable de l'obstacle pendant 2 heures. Le Président refuse catégoriquement de changer la décision du jury, et élimine le concurrent. Ce dernier a téléphoné la semaine suivante au responsable de l'obstacle pour lui dire: [ tu sais, je savais que je n'avais pas pris la porte mais j'ai essayé...]
« Il y eu également des soirées mémorables de concours où dans l'euphorie j'ai joué au curé en me costumant, et j'ai "marié" des couples insolites. »
JCG : Pour conclure, si vous aviez le pouvoir absolu de faire quelque chose pour l'attelage, qu'elle serait votre décision ou votre action ?
GG : « avec certitude je dirais SIMPLIFIONS, SIMPLIFIONS ! Mais j'avoue que je n'ai plus envie d'en jouer. Le règlement est compliqué, il change d'une catégorie à l'autre… Peut-être certains sont-ils taquinés par le virus HPCE ?
J'aime bien juger, mais il faut dire que ce qui nous est présenté ne s'améliore pas en qualité. Nous avons encore vécu de la contestation...un petit mot donc pour Jean-François Trangosi chez qui j'ai souvent jugé. Je lui souhaite beaucoup de courage pour l'avenir, car le nouveau statut du Stade Equestre de Compiègne ne va pas faciliter l'organisation des concours.
J'ai toujours œuvré avec Claudine ma compagne, et je lui rends un hommage appuyé. Elle m'a soutenu lorsque j'ai douté et elle peste de ma décision d'arrêter. En tout cas un grand merci à tous ceux qui m'ont accueilli durant ces années. Je fais un signe d'amitié à Joël Chandavoine, à Philippe Blossier, aux Bouché, à Pascal Hédiger, à Joseph Lévèque et à tant d'autres qui se reconnaitrons et qui sont des amis indéfectibles. »
Monsieur Gadois, merci pour toutes ces années au service de l'attelage. Vos amis sur les concours vont regretter les parties de rigolade dont vous étiez l'animateur. Prenez soin de vous.
© interview JCG/ attelage.org