Article proposé par JeanClaudeGrognet, paru le 14/12/2016 08:21:38
Rubrique : Coup de coeur, lu 834 fois. Pas de commentaires
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Histoire vraie


 

Retour en piste

 

      Quelque part au centre de la France, c’est jour de concours.

Les attelages ont répondu à l’appel, ils sont nombreux et en prime, il fait beau.

C’est l’une de ces réunions où l’on est heureux de retrouver l’atmosphère bon enfant des compétitions d’autrefois quand le bonheur de se retrouver pour partager une passion primait sur les résultats.

Le dressage et le marathon se passent bien.

 

      Au déjeuner, on est sur les dents, on attend la  maniabilité, l’épreuve « juge de paix », celle qui peut encore tout changer.

      Afin de pouvoir juger cette épreuve sereinement, la présidente a pour habitude de se la mettre en  tête en la reconnaissant à pied, tout comme les concurrents. Le chef de piste a tracé ce qu’on pourrait appeler un parcours en trois dimensions. Il reprend quelques éléments du marathon, dont le franchissement d’un ruisseau. Il n’y a pas  beaucoup d’espace, pas mal de pente, et, pour en finir, c’est un parcours sélectif pas si facile que ça.

 

      On va sûrement s’amuser.

L’organisateur, qui est lui même concurrent, la rejoint.

En plaisantant,  elle lui dit :

- Ça serait sympa si le jury participait… 

- Du tac au tac, il répond :

- Je te prête mon attelage !

- Banco !

C’est sorti du cœur, le virus n’est pas mort.

 

      Elle a cessé la « compète » depuis longtemps. Elle a bien participé à quelques « routes », à quelques « traditions », elle a même tâté du Trec pour voir, et constaté que si c’est amusant, ce n’est pas forcément évident. Puis elle a tout abandonné, bien obligée d’admettre qu’elle n’avais plus vingt ans. Ancienne meneuse « à un », elle n’a surtout pas eu l’occasion  de mener en paire depuis plus de dix ans. Or l’attelage de l’organisateur est une paire de New-forest qui ont du bouillon. Elle les connait pour les avoir souvent jugés, mais elle ne les a jamais menés.

Pareille confiance lui va droit au cœur.

 

      Un attelage est une telle somme de travail et le tissage d’affinités si complexes qu’on ne le prête pas ainsi, mais les deux compères se connaissent et s’apprécient car ils se sont mesurés souvent par le passé.

Quand l’épreuve se termine, l’organisateur annonce que la présidente du jury va participer, hors concours, bien entendu, et que c’est courageux de sa part, parce qu’elle va mener au pied levé des poneys qu’elle ne connaît pas.

Elle fait tout d’abord quelques tours dans la carrière pour détendre et pour vérifier qu’elle sait encore manœuvrer une paire, puis elle se rend au départ, saluer ses assesseurs.

 

      Les poneys sont aux ordres, ils ont une pêche d’enfer, elle embraye, elle laisse aller et instantanément, elle « s’y » retrouve. Elle a toujours été en avant et ça n’a pas changé. Ça roule et elle fait le tour dans le temps imparti, avec tout de même une balle pour finir. C’est classique… excès de confiance, la porte était facile.

Notre présidente est dans un état d’euphorie totale quand les New-forest passent l’arrivée.

- Merci les poneys, vous avez été formidables !

Ravi, l’organisateur qui a tenu à la groomer personnellement, lui claque une bise sur la joue.

 

      Quelque part, il n’est pas mauvais que les concurrents sachent que ceux qui les jugent sont capables de mener… mais franchement elle aurait eu bonne mine si elle s’était plantée ! 

Avouera-t-elle que cette petite aventure reste l’un de ses meilleurs souvenirs ?

Elle avoue.

À l’automne de sa vie, ces New-forest, pendant quelques instants, lui ont rendu ses vingt ans.

 

ndlr: Extrait de " Sous le regard des chevaux " de Julie Wasselin publié à l'Harmattan.


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