Article proposé par Renata, paru le 28/02/2015 20:33:51
Rubrique : Culture générale, lu 3354 fois. Un commentaire
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Une histoire d'écolage


 

 

 

 

Lors d’un précédent quiz, je vous montrais des automobiles remorquées par des chevaux dépanneurs. J’ai failli inclure la photo ci-dessus, mais tout était trop beau pour qu’il s’agisse d’un dépannage… un nom étant bien lisible, il a suffi de recherches sur la toile pour comprendre que nous avons bien à faire à des chevaux… déménageurs.

L’entreprise Vandergoten existe toujours. Par courriel, via son site http://www.lesfils-vandergoten.be/fr/ je contacte l’entreprise qui confirme :

« Bonjour,

Je suis heureux de votre intérêt pour notre attelage.

Pour répondre à votre question, la tapissière hippomobile sur cette photo est authentique et qui, avant, avait des roues bandage fer.

Mon papa les a modifiées entre 1946 et 1953 avec des essieux récupérés des véhicules américains qui nous ont libérés.

Au total nous en possédions 5 pourvus de cabines de 2 à 5 places, avec freins et clignoteurs.

J'ai dû m'en séparer en 2013.

Bien à vous

Roger Vandergoten »

 

 

 

 

La lecture de l’historique de l’entreprise, passionnant, et d’autres documents glanés, souvent par chance nous renvoie au milieu du 19ème siècle.

 

 

 

 

« Jusqu’à la fin des années soixante, les puissants attelages de chevaux de traits alezans de la firme de déménagement Vandergoten constituaient une véritable richesse culturelle de notre capitale. Attelés en harnais de travail à des lourdes tapissières de transports ou revêtus de riches harnachements pour participer aux processions de la cathédrale St-Michel à Bruxelles, de St-Guidon à Anderlecht, à l’Ommégang, ou au concours national du cheval de trait belge sur la grande piste du palais 5 du Heysel, ces magnifiques colosses suscitaient toujours l’admiration générale. » †Pierre Wolfs

 

      

 

 

  

 

 

 

 

Les Vandergoten avaient une prédilection pour les traits Belges, alezan crins lavés, ils recherchaient surtout de beaux et bons chevaux, acteurs principaux d’un dur labeur, soignés en conséquence, après un écolage (oui, nous sommes en Belgique !) progressif et sagement organisé.

 

 

Le site http://www.chevaletforet.be/fr/rene-vandergoten/ nous offre des articles captivants qui relate une époque révolue de l’entreprise Vandergoten, certes, mais riche d’humanité, de l’amour du travail bien fait, et du respect des chevaux.

Les héritiers ont su s’adapter à l’air du temps, les chevaux de chair et de sueur ont laissé place aux chevaux vapeur.

La réputation de la firme perdure au cœur de Bruxelles.

    

 

 

 

Voici un des articles de « cheval et forêt » (ni daté, ni signé), à déguster !

 

« Les trois derniers chevaux de trait de Bruxelles

(Traduit du néerlandais)

 

Dony, Gaston et Carlo, les trois derniers chevaux de trait de Bruxelles ....

J’ai sans doute vu les trois derniers chevaux de trait de Bruxelles. Quoi qu’il en soit, vous avez peu de chance de croiser encore des chevaux dans les rues de la capitale.

 

Le hasard a voulu que, quelque part dans le Brabant, on me raconte qu’à Bruxelles vit quelqu’un qui entretient encore par pure passion quelques chevaux de trait. Il ressortait de cette conversation que ces chevaux n’avaient rien à faire, et étaient par conséquent devenus des chevaux de musée. Tout ça n’était pas très clair dans mon esprit jusqu’à ce que, l’été dernier, je rencontre le propriétaire, Monsieur René Vandergoten, qui m’a accueilli en grand seigneur.

Si monsieur Vandergoten peut s’exprimer en flamand, il me précise toutefois que cela sera moins facile qu’en français. Les en-têtes de son papier à lettre sont rédigés en français, ce qui me donne à penser que j’ai affaire au directeur d’une grosse entreprise de déménagement, voire même d’un garde-meuble.

 

Je suis accueilli entre 18 et 19heures par le directeur dans son petit bureau, au n°10 du quai au charbon. Le bâtiment est situé non loin de la gare du Nord. De l’extérieur, il n’y a pas grand-chose à voir, mais bien à sentir, car entre les gaz d’échappement je hume l’odeur du crottin. Donc – pensai-je – c’est ici que les derniers chevaux de trait ont élu domicile. Mon impression se révèle juste.

Après avoir fait connaissance, on allume la lumière et je me trouve en présence de trois beaux « Belzen » bien soignés, trois rouquins : deux foncés et un clair, l’un à côté de l’autre. Ce fut, je le reconnais volontiers, une expérience. C’est une chose à laquelle je ne m’attendais pas, à l’opposé de ce qu’un visiteur pense trouver dans une ville moderne comme Bruxelles.

Nous montons alors à l’étage, où, par un petit escalier, nous accédons à ce qui fut jadis le fenil, pour arriver dans un grand grenier, où l’on peut passer des heures à fouiner dans des trésors sur lesquels monsieur Vandergoten peut disserter pendant des heures, même des jours peut-être.

Dans cette pièce ont été rassemblées les pièces d’un petit musée, mais c’est avant tout le bureau du directeur. C’est ici qu’il se retire après une journée de dur labeur et qu’il profite du calme, de l’odeur de l’encaustique pour « harnassen », un mot que les Flamands ont emprunté au français « harnais ». Car s’il est un homme de son temps et qu’il dirige une entreprise hypermoderne, il ne se languit pas moins de l’époque où les chevaux tiraient les voitures.

Il m’installe sur une chaise confortable et me verse du vrai whisky écossais. Du whisky avec des sucreries et des cigares coûteux. Il s’assied à son tour sur sa chaise de bureau pour nous parler d’avant, dans un flamand savoureux et un néerlandais un peu ébréché.

 

« Vous devez savoir que mon grand-père était à moitié propriétaire d’une société de transports. En 1856, il transportait principalement les décors de Gounod du Théâtre de la Monnaie. Pour ce faire, il avait besoin de dix-sept voitures, et il a travaillé ainsi jusqu’après la seconde Guerre mondiale. Il travaillait tous les jours, même le dimanche. Bien avant, nous travaillions aussi comme déménageurs et nous occupions du transport des ordures des grands magasins.

En ce qui concerne du transport des décors, ces ustensiles pour les théâtres ont toujours été importants. Nous en étions spécialistes et nous connaissions aussi tous les artistes. Rien que pour le plancher de la Monnaie il fallait 55 voitures, et on travaillait de 3 heures du matin à 5 heures de l’après-midi.

Dans le courant de la conversation il me parle d’un nombre hallucinant de voitures, et je me demande combien de chevaux il avait en service.

Plus tard, il m’éclairera : car qui dit « autant de voitures » dit « autant de trajets ». Donc, 55 voitures voulaient dire 55 trajets.

 

Jusqu’en 1935, l’entreprise était installée 12 rue du Canon. Une poignée de Bruxellois savent peut-être encore que jusque dans les années 30, cette maison abritait également... une étable. Il y avait une étable de douze bêtes : des vaches à lait hollandaises, que l’on trayait trois fois par jour, à 6, à 12 et à 18 heures. Le père Vandergoten achetait toujours des vaches ayant récemment vêlé en Hollande.

A la robe noire, elles étaient traites plusieurs fois par jour, entièrement manuellement

Le lait était envoyé à la ville. On élevait aussi des porcs, qu’on engraissait jusqu’à ce qu’ils pèsent... 180 kg (avant, on n’était pas dégoûté par un bon bout de lard gras !).

Deux ou trois porcs étaient engraissés pour les besoins de la famille, car on entretenait aussi du personnel. Il y avait un ouvrier néerlandais qui avait une force extraordinaire et qui pouvait porter un gros cheval de trait sur son dos. « Maintenant, des types aussi forts, cela n’existe plus », soupira monsieur Vandergoten.

Grand-père avait quatre ou cinq gros chevaux (de 600 à 700 kg chacun). Mais ils n’étaient pas les plus lourds. A cette époque, il y avait en Belgique des chevaux de trait qui pouvaient peser jusqu’à une tonne, et les chemins de fer belges en possédaient même un de 1.480 kg. On l’utilisait pour déplacer les wagons. Le harnachement de ce cheval était si lourd que personne ne parvenait à le porter. On le suspendait dans le grenier et on le déposait simplement sur le cheval comme on le faisait jadis chez nous avec les chevaux des pompiers.

Monsieur Vandergoten nous parle ici des années 1904-1905. Le père Vandergoten a repris l’affaire en 1913. C’est lui qui, pendant la Première guerre mondiale, travaillait avec 7 à 9 bœufs. Les chevaux de trait étaient rares, en partie émigrés vers les Pays-Bas, en partie emmenés par les Allemands. Après la guerre, les chevaux de trait ont à nouveau remplacé les bœufs. On en avait trois ou quatre, mais ils permettaient d’abattre une besogne colossale.

 

Lorsque l’on a construit le nouveau bâtiment, en 1935, on est allé jusqu’à huit chevaux, dont la moitié étaient logés rue du Canon. On avait toujours plus de chevaux en hiver qu’en été, car la saison théâtrale d’été était moins chargée.

Aujourd’hui, il reste trois chevaux, et René Vandergoten ne songe absolument pas à s’en débarrasser. Ce sont les derniers souvenirs d’un âge d’or révolu. D’une époque où tous les hommes à son service, et bien sûr ailleurs à Bruxelles, avaient des surnoms. Il se souvient du Blanc et du Rose (qui avait si bonne mine).

Mais il ne garde pas ces chevaux uniquement par tradition : il peut encore les utiliser pour le transport de mobilier. Il possède deux antiques camions de déménagement dont il se sert comme garde-meuble.

Cependant, ces trois chevaux devraient eux aussi être «dépoussiérés » : les bons cochers sont rares, et monsieur Vandergoten reconnaît qu’ils n’ont plus l’amour des chevaux et de la conduite comme autrefois. Ils seront bien contents, pense-t-on, lorsqu’il vendra les chevaux. Mais non, ce vieux bonhomme de 77 ans qui vient encore tous les jours nettoyer les boxes n’est pas de ce bois-là. C’est tous les jours, avec le plus grand plaisir, qu’il nettoie les harnais.

 

Et... il est bien plus content que tous les autres membres du personnel !

Travailler, le patron lui-même n’arrête pas. Il ne se lasse pas de ce plaisir. Il est le premier sur place et toujours le dernier à partir le soir ! Il veut donner l’exemple à ses hommes, car selon lui, ça paie.

 

Je jette un regard circulaire sur la petite salle de musée, où le propriétaire m’a parlé avec autant de fougue et de plaisir du temps passé, et je découvre un série complète de planches d’Eerelman*, avec texte français. J’ignorais que le texte, de la main de Quadekker**, eût jamais été rédigé en français. M. Vandergoten est très fier de posséder cet objet, qui a d’ailleurs beaucoup de valeur.

Au mur, à côté des livres et des porte-manteaux, sont suspendus les beaux harnais d’antan. Au moins aussi beaux et richement décorés de cuivre, comme ceux des brasseurs. Et parfaitement entretenus. Et surtout, je découvre encore d’autres affaires intéressantes datant de « l’âge d’or du cheval », soit le XIXème et le début du XXème siècle.

Malheureusement, les plus belles pièces sont pour l’instant au Texas, à l’occasion d’une exposition.

 

Est-ce si étrange de voir le directeur de cette énorme société de transport se retirer volontiers ici pour faire sa comptabilité et se sentir encore plus chez lui lorsque tourne le vieux gramophone d’avant-guerre ?

Oui, on peut dire que nous, les amateurs de chevaux, nous sommes des gens bizarres. »

 

 

*Otto Eerelman (1839 – 1926) est un peintre Néerlandais, très coté, dont voici quelques œuvres :

 

  

 

 

 

 

Cette « promenade un dimanche ensoleillé » a été adjugé 29 000 €

 

 

**Je n’ai pas trouvé trace du livre de Quadekker, en français, avec les planches signées Eerelman.

Leur collaboration a produit des ouvrages d’art très recherchés, décrivant différentes races de chevaux.

 

 

 

 

 

L’un d’entre vous aurait-il un tel trésor ?!

 


  Commentaires
-impressionnant par JeanClaudeGrognet (28/02/2015 20:39:10)
A lire et relire, absolument !