Article proposé par JeanClaudeGrognet, paru le 14/02/2013 08:51:07 Rubrique : Les références > Dressage : technique, lu 1964 fois. 7 commentaires |
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"Mener le Dressage à son terme, c'est gagner le complet accord d'un cheval pour l'action voulue."
Jean Saint Fort Paillard
" A quelque niveau qu'elles se situent, et même, sinon surtout, au plus élevé, les discussions équestres sont généralement interminables, tournent le plus souvent en querelles de sourds, et restent donc presque toujours sans issue ni conclusion. Chacun sait cela et peut en sourire en n'y voyant qu'un travers dont les cavaliers n'auraient nullement l'exclusivité. Voyez plutôt les chasseurs, les bridgeurs, les golfeurs, etc.
Cependant, en y regardant de plus près, l'analogie entre ces parlottes de spécialistes passionnés est plus apparente que réelle. Leur principale similitude réside en effet dans la passion que les interlocuteurs y mettent. Mais celles des chasseurs, bridgeurs, etc. sont alimentées par une infinie diversité de cas particuliers qui constituent une matière inépuisable de commentaires à base de «si» et de «mais». Elles ne tendent guère à dégénérer en querelles d'idées générales ou de conceptions.
Il n'en est pas de même pour les cavaliers dont les discussions, partant aussi le plus souvent de cas particuliers bien concrets, tournent si facilement en querelles «doctrinaires». C'est alors aux politiciens ou du moins à certains politiciens, qu'ils font penser, plus qu'à aucune autre catégorie de discuteurs, les uns et les autres ayant ceci en commun que leurs efforts pour se comprendre ou se convaincre se heurtent à l'imprécision ou à l'impropriété du vocabulaire qu'ils emploient
Ne peut-on se demander en effet si, toute proportion gardée, les mots impulsion, équilibre, ou légèreté ne sont pas aussi chargés de malentendus que ceux de liberté, socialisme ou démocratie ?
Mais, grâce au ciel, l'équitation pose tout de même des problèmes plus simples, plus limités, et en tout cas plus concrets que la politique...
Si la façon de discuter des cavaliers ne reflétait qu'un travers, ce ne serait pas bien grave. Ce qui est grave, c'est l'étonnante confusion d'esprit dont elle découle et qu'elle manifeste.
Car la confusion des mots ne peut être, selon les cas, que la cause ou l'effet de la confusion de la pensée... et, naturellement, la confusion de la pensée ne peut correspondre ou conduire qu'à des actions, à une pratique, également confuses.
Alors, en bonne logique, tout effort visant à rationnaliser, et par là même à améliorer la pratique, passe nécessairement par un effort de clarification et de simplification de la pensée (on serait même tenté de parler de démystification, car il semble bien s'agir souvent de cela...), effort qui doit donc porter d'abord sur le langage, c'est-à-dire sur les mots-clés qui expriment les différents éléments du problème de l'équitation et qui sont donc indispensables pour en formuler l'énoncé.
Tout le monde apprend à l'école qu'il convient de s'appliquer à bien comprendre l'énoncé d'un problème avant de chercher à le résoudre.
Mais dans les écoles que sont ou que devraient être les manèges, se soucie-t-on assez de cela ? Et, pour aider leurs élèves à résoudre le problème de l'équitation, les professeurs s'attachent-ils assez à le leur énoncer clairement et à leur en faire comprendre les données ? Certainement pas.
Alors, faute d'une conception précise et d'une compréhension profonde des buts à atteindre, des moyens à employer et des difficultés à surmonter, il est bien évident que l'intelligence ne peut ni guider ni contrôler l'action, et elle cède alors la place au seul instinct, avec tous les risques que cela comporte.
On ne peut pourtant pas contester que ce qui est fait avec intelligence ait toute chance de l'être mieux, dans quelque domaine que ce soit, sauf peut-être dans celui de l'art pur. Mais l'équitation même pratiquée de façon artistique, ne peut en aucune façon être assimilée à un art pur, et elle n'échappe donc pas à cette règle.
Cela ne veut pas dire que certains ne puissent pas s'en émanciper : il y a toujours eu et il y aura toujours des cavaliers exceptionnellement «doués», c'est-à-dire ayant un «instinct du cheval» si développé et si bien adapté qu'il constitue une véritable «intelligence instinctive» de l'équitation, capable de suppléer à l'intelligence tout court. Bien entendu, il n'est pas question, ce disant, de mettre en cause la qualité de leur intelligence, ni encore moins d'en contester l'existence. Il s'agit seulement de constater que, dès qu'ils sont à cheval, ils ne s'en servent pas parce qu'ils n'en éprouvent pas le besoin, totalement confiants qu'ils sont dans leur intuition, leur sentiment, leur tact, leurs réflexes, tous dons instinctifs qui, développés par la pratique, suffisent à les guider dans l'action.
Il n'y a pas lieu de s'étonner que ceux-là, quand on leur demande explications ou conseils, aient recours le plus souvent à un langage imagé mais rarement précis et rigoureux. C'est bien normal puisqu'ils cherchent à exprimer des sensations sans avoir éprouvé le besoin de les analyser et de les comprendre.
Et c'est ainsi que le langage équestre, encombré de locutions plus ou moins sibyllines, est trop souvent d'une complication et d'une obscurité injustifiables pour un sport qui, infiniment complexe sans doute dans la pratique, n'en reste pas moins simple dans ses principes. Et cela est d'autant plus préjudiciable au progrès que, véhicule indispensable de la transmission du savoir, le langage employé conditionne pour une très grande part la valeur d'un enseignement.
Bien entendu, l'équitation a besoin, comme toute «technique», d'un vocabulaire qui lui soit adapté, c'est-à-dire qui exprime pour les spécialistes ou simplement pour les initiés, des notions qui lui sont propres et qui, du même fait, lui sont essentielles.
Ces mots, consacrés par la tradition et par l'usage, constituent les clés de la compréhension et du savoir. Il est donc de la plus haute importance que leur sens soit clairement établi. Une des plus grandes faiblesses de l'instruction équestre passée et présente ne vient-elle pas précisément de ce que certains des plus importants aient été ou soient employés sans avoir été complètement expliqués à ceux qui les entendent, et trop souvent hélas sans avoir été complètement compris par ceux qui les prononcent ?
Et ces quelques réflexions ne conduisent-elles pas à comprendre pourquoi, de tout temps, les progrès de l'art équestre ont été si lents et restent si fragiles et si incertains...
C'est que la plupart des grands écuyers de jadis ou de naguère, comme des grands champions d'aujourd'hui, ont fait ou font partie de ces êtres exceptionnels dont la réussite relève surtout, sinon parfois exclusivement du talent inspirant une pratique plus ou moins empirique, plutôt que de la science guidant un travail raisonné. Si éclatante qu'ait pu ou que puisse être la valeur de leur équitation personnelle, ils n'ont pas, le plus souvent fait faire beaucoup de progrès à l'équitation en général, c'est-à-dire à la qualité de l'équitation pratiquée par les autres.
C'est que la science est transmissible, mais le talent ne l'est pas.
Exécutants prestigieux, ils ont été ou sont des exemples, mais bien rarement des Maîtres, si toutefois on désigne par ce mot non pas seulement ceux qui font preuve d'un art supérieur, mais ceux qui ont la capacité et le talent d'enseigner leur art.
Instruire c'est convaincre
Le Général L'Hotte a écrit fort justement que la transmission de l'art équestre rencontre un obstacle particulier dans « la difficulté qu'éprouve le maître à amener la conviction chez l'élève.»
(* ndlr 1)
Mais combien y-a-t-il de maîtres qui s'appliquent à la surmonter, cette difficulté ? Et combien y-en-a-t-il eu dans tout le passé de l'équitation ?
L'instruction équestre ne s'est-elle pas toujours limitée, sauf bien rares exceptions, à affirmer, en appuyant plus ou moins éloquemment les affirmations par des démonstrations plus ou moins réussies ? Mais cette «pédagogie» a bien peu de chance d'emporter la conviction, puisque l'élève qui s'efforce seulement l'imiter, c'est-à-dire de répéter aussi exactement que possible ce qu'on lui a dit de faire et la façon dont on lui a montré qu'il fallait le faire, n'obtient évidemment pas les mêmes résultats que le maître.
Convaincre, c'est amener quelqu'un par le raisonnement, à admettre la vérité de ce que l'on affirme. Ne peut donc convaincre que celui qui s'adresse à la raison de son interlocuteur ou de son élève. Une conviction personnelle seulement établie par les voies de l'empirisme et de l'instinct ne peut donc pas être transmise, sinon, au mieux, sous forme de «conviction reçue», sorte de foi du charbonnier sans profondeur ni intelligence, qui peut sans doute protéger de certaines erreurs en maintenant dans l'observance de certains «commandements», mais qui ne peut sûrement pas ouvrir la voie à une recherche personnelle et fructueuse du mieux, ni, par conséquent, favoriser la manifestation et l'épanouissement des personnalités, des valeurs, donc des élites.
En revanche, une conviction profondément raisonnée et comprise peut être transmise valablement et d'autant plus efficacement que, devenant pour ceux qui la partagent une foi éclairée, elle pourra les guider dans leur recherche du progrès jusqu'à la limite de leurs moyens.
Bien entendu, une telle conviction pourra être d'autant plus facilement transmise qu'elle sera clairement exprimée avec un vocabulaire précis et simple. Ce qui nous ramène à la question du langage équestre.
Les mots-clés qui expriment les notions essentielles à la claire conception des problèmes de l'équitation ne sont pas tellement nombreux.
Les trois mots du Général L'Hotte «calme, en avant, droit» sont restés fameux, et, pour lui, ils répondaient sans doute à toutes les «questions équestres». Mais, pour le commun des mortels, et aussi pour l'équitation qui est pratiquée aujourd'hui, il semble nécessaire d'en ajouter quelques autres.
Le lecteur va donc être convié à étudier les mots exprimant les notions indispensables pour pouvoir monter à cheval en sachant ce que l'on fait... et aussi pour pouvoir en parler en sachant ce que l'on dit. (* ndlr 2)
Est-il besoin de dire qu'il n'y aura pas place dans ces études pour de quelconques querelles d'école ou de doctrine, pour la raison majeure que ces querelles, d'ailleurs largement périmées, semblent bien n'avoir jamais eu pour résultat que d'embrouiller inextricablement les questions les plus simples.
Il n'y aura place (du moins sera-ce mon ambition) que pour le bon sens, parce que, dans un tel domaine, seul le bon sens, c'est-à-dire la simple raison, peut convaincre."
Extraits et introduction à " L'Equitation " par Jean Saint Fort Paillard Edt Chiron 1975
(* ndlr 1): ne trouve-t-on pas en partie là, l'explication du fait, que cavaliers et meneurs ont une forte propension à changer souvent d'instructeur, de coach ou d'entraineur ?
(* ndlr 2 ) L'auteur définit magistralement " l'équilibre, l'engagement, la tension, l'appui et le soutien la légèreté " d'une manière très personnelle, hors des convenances.
Jean Saint Fort Paillard, écuyer du Cadre Noir, chroniqueur équestre à L'Eperon, a pratiqué le CCE, les Courses d'obstacles, le CSO, le Polo, et le Dressage (Trois participations au J.O dont une Médaille d'Or par équipe au J.O de 1948 en Dressage).
élève au travail