Article proposé par Heliosness, paru le 08/12/2016 08:00:57
Rubrique : Coup de coeur, lu 1254 fois. 3 commentaires
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Conte de Noël: '' Je ne veux qu'elle ''


 

Je ne veux qu’elle

(Toute ressemblance ou similitude avec des personnes ou événements existant ou ayant existé serait purement fortuite.)

Je suis né le 6 avril 2008. Si vous comptez bien, j’ai aujourd’hui six ans, sept mois, seize jours et un trésor d’expériences à partager. Ce qui doit bien vous étonner !

Lorsque je suis né, ma mère était terriblement affaiblie, usée d’avoir déjà porté six enfants. Mais elle me donna tout l’amour, toute la tendresse, toute l’affection dont elle était capable. Je l’ai tétée pendant onze mois. Quels délices ! Jamais je n’oublierai la saveur verte et sucrée de son lait dont la tiédeur m’inondait de bonheurs suaves. La richesse de ce nectar fleuri me fortifiait jour après jour, augurant d’un destin prestigieux.

Mon père, que je ne connaissais pas, vivait séparé de son harem, tout auréolé qu’il était de sa gloire de champion du monde. Je serais un jour plus grand, plus beau et plus fort que lui me répétait ma mère, les yeux brillant d’admiration pour son petit garçon. Moi aussi, un jour, j’aurai mon harem… cependant, je serai un bien meilleur papa.

         - Tu es mon plus beau joyau, ne l’oublie pas mon fils. En toi coule le sang précieux d’une longue lignée de vainqueurs. Je ne t’ai pas prénommé Unique par hasard. Tu seras amené à réaliser de grandes choses mais il te faudra beaucoup de courage, d’abord  pour y parvenir, ensuite pour les assumer, car les hommes n’aiment pas ceux qui sont différents, encore moins lorsqu’ils leur sont supérieurs. 

Seulement voilà, un an après ma naissance naissait et mourait, en un instant, sous mes yeux, ma jeune sœur, Volga. Ma mère ne lui survécut que trois jours. Ce furent trois jours et trois nuits de douleurs et de souffrances auxquelles j’assistais impuissant et muet, qui me plongèrent dans l’hébétude et le désarroi. Ma pudeur ainsi que le respect que j’éprouve pour ma mère, qu’une dignité majestueuse habitait, m’interdisent de raconter cette terrible épreuve qui me rendit fou, immédiatement, totalement fou, rebelle, incontrôlable. J’hurlais ma haine, j’explosais de rage, j’aurais tué sans aucun discernement quiconque m’approchait. Ce qui justifia, semble-t-il, qu’on m’enfermât dans une pièce étroite et sombre pourvue seulement d’une litière de paille moisie et d’un bassin de pierre au fond duquel croupissait une eau saumâtre.

Dans la cellule voisine, j’entendais respirer faiblement mon demi-frère. Nous avions le même père, sa mère était la nièce de la mienne. On la surnommait Joyeuse car elle était insouciante, fraîche et toujours drôle ! J’aurais bien voulu qu’elle vînt combler ce vide abyssal que je ressentais depuis que la cupidité des hommes m’avait privé de mère. Cependant, Urbain, mon demi-frère, souffrait d’un retard de développement qui nécessitait une présence et des soins constants de la part des adultes.

A travers la cloison, nous communiquions souvent et apprîmes à nous apprécier. Il me tenait au courant de la vie qui s’écoulait, douce et tranquille, à l’extérieur. Or, une nuit, Joyeuse qui était restée auprès de son fils, frappa frénétiquement à la cloison pour me réveiller. Elle m’apprit qu’il avait été décidé de nous sacrifier, car nous représentions deux bouches inutiles à nourrir. Elle me supplia d’user de ma force pour que nous nous échappions et de protéger toujours Urbain. Je n’avais nul besoin de courage pour cet acte héroïque : ma force herculéenne faisait de moi un héros par ma naissance, non en vertu d’un quelconque mérite, tandis que mon chagrin, majoré par l’injustice de ma réclusion, entretenait une inextinguible volonté de vengeance. D’une ruade énergique, je fis voler en éclats la cloison de bois, puis, faisant volte-face, la porte de ma geôle. Nous galopâmes une bonne heure à travers les prés, les ruisseaux et les chemins boueux, nous appliquant à mettre le maximum de distance entre l’élevage et nous.

Malheureusement, nous dûmes nous arrêter, le petit Urbain, si attendrissant avec sa liste en forme de feu follet sur le chanfrein, s’étant écroulé d’épuisement. Je m’allongeais tout contre son corps afin de lui transmettre tout ce que je pouvais de ma chaleur et de ma force. Je voulais qu’il survive. Je sentais confusément que sa force à lui n’était pas physique, mais mentale. Nous sommes tous éblouis par la puissance transcendantale des êtres qui tutoient la mort dès tout-petits, n’est-ce pas ?

 

***

Pendant ce temps, à 600 kilomètres de nous, une jeune femme découvrait avec horreur, sur un site Internet, que notre mort était programmée pour la mi-juin 2009, aux abattoirs de Carpentras, pour finir en chair à pâtée ou en steak poêlé. Elle s’en émut et décida de nous racheter à l’éleveur, « au prix de la viande »,  pour nous offrir de vivre sur les verts pâturages de Montagne.

Elle arriva avec un petit van, tiré par un gros 4x4. A peine l’avait-il aperçue qu’Urbain décida de l’adopter. Il se colla à elle et monta en courant s’installer dans le véhicule. Elle avait une voix douce, qui savait charmer, ensorcelante. Urbain hennissait gentiment pour m’encourager à le suivre rapidement. Mais moi, le gros costaud, j’avais peur. Pas de cette femme, non, puisque j’avais confiance dans le jugement de mon frère ; j’avais peur de quitter cette terre où ma mère était morte. Je faisais une véritable crise de nerfs. Les hommes se mirent à plusieurs pour me tenir, me tirer, me pousser dans le van mais moi, je me cabrais, je ruais, je suais. Urbain m’appelait, me disait d’avoir confiance mais je ne pouvais pas me contrôler.

Alors la gentille jeune femme leur demanda à tous de me lâcher et de s’éloigner. Elle voulait qu’on la laissât seule avec moi. Elle approcha calmement, lentement, me parla avec douceur. Elle ne sentait pas la peur… cela m’apparut soudain comme une évidence : les autres, tous les autres, avaient peur de moi, mais pas elle. J’étais tellement stupéfait que je la laissais entrer dans le box, saisir la longe et me guider à l’extérieur. Elle me fit marcher dans tout l’élevage pour que je dise adieu à ma famille. J’étais très ému. Je l’ai suivie et je suis monté après elle dans le van, à côté d’Urbain. Elle nous a donné du pain dur, des carottes et des pommes. Urbain était déjà tout imprégné de son odeur parce qu’elle avait pu le caresser longuement, l’enlacer, le câliner. Elle sentait bon ce parfum d’Hermès, le messager des dieux, un bon présage.

Après plusieurs heures de route, nous descendîmes enfin du véhicule pour nous retrouver dans une clairière féérique, à une haute altitude, loin de toute civilisation ; les sommets des montagnes pour voisins, une forêt qui sentait bon la liberté pour abri, un cirque naturel pour galoper, trotter,  sauter, en un mot : le bonheur. Et elle, cette toute petite bonne-femme, elle se tenait là, debout à quelques pas de moi, enlaçant de ses bras nus Urbain, un sourire franc qui éclatait de joie aux lèvres. Je me suis approché lentement. Doucement, j’ai soulevé son bras et délicatement poussé mon frère pour venir la prendre dans mes bras. Oui, oui, vous avez bien lu, dans mes bras et je l’ai enveloppée en abaissant ma tête le long de son dos, mon cou enjambant son épaule.

Je naissais pour la seconde fois à cet instant précis. J’avais alors 13 mois. Nos esprits s’unirent l’un à l’autre et ne se désunirent plus jamais. C’est ainsi que le courage me vînt, ce courage qui la caractérise si bien, cette jeune femme qui nous consacre sa vie et se bat pour que les hommes nous respectent et nous rendent notre liberté. Il y a des lois, maintenant, qui stipulent que nous ne sommes plus des objets et que nous sommes sensibles !

Mais son combat … notre combat n’est pas fini, loin s’en faut !

N’allez pas croire pour autant que nous sommes toujours sérieux ! Nous passons aussi énormément de temps à jouer avec elle, Urbain et moi. Nous sommes deux jeunes sportifs qui trimballons des voitures accrochées à nos harnais sur des terrains qui montent et qui descendent, sans routes, complantés d’obstacles rigolos qu’il faut contourner à une allure vertigineuse ou encore décorés de labyrinthes de cônes orangés surmontés d’une balle de tennis qu’il ne faut surtout pas envoyer rouler par terre, un dédale dans lequel il faut parfois passer et parfois non, en faisant de belles courbes ou en tournant serré, au galop si possible. La totale éclate, quoi !

Côté sentiments, mon frère vit en couple avec une magnifique jument… c’est lui, l’étalon du harem…

Désolé maman, mais Moi, je ne veux qu’Elle !

Quant à devenir un champion… c’est une autre histoire…

Je ne veux qu’elle, Nouvelle de © L.-C. Anselme, novembre 2014, publiée avec l’aimable autorisation de l’auteur qui en a également autorisé l’illustration par des photographies choisies par Heliosness uniquement pour attelage.org.

 


  Commentaires
-conte de noel par Minique (08/12/2016 09:04:38)
Magnifique conte de noel et tres belles potographies.
-auteur ? par Anton (08/12/2016 13:42:51)
Plaisant à lire, bien écrit, le style ressemble à celui de H !
-Merci par Heliosness (08/12/2016 14:01:57)
Merci Minique et Anton.
Ceci n'est pas un Quiz Anton !