Article proposé par JUJU, paru le 07/10/2016 00:12:49
Rubrique : Coup de coeur, lu 1683 fois. Un commentaire
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Le dernier des grands


 

 

 

Le dernier des grands

En hommage au général Pierre Durand

Le 3 octobre 2016

 

Comme l’a écrit Verlaine, il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville…

 

Le général est mort hier. 

L’âge et la maladie avaient mis la barre trop haut, il n’a pas pu la franchir.

Il nous a quittés.

Il était le dernier des « grands » écuyers.

Le seul qui ait à la fois mené encore des troupes à cheval au feu et défendu la France aux Jeux Olympiques, celui qui ouvrit aux civils l’accès aux enseignements du Cadre Noir et de l’ENE, puis, sur le tard, usa de sa plume avec autant d’élégance qu’il en avait usé à cheval pour nous léguer, portée par son abyssale érudition, sa philosophie : ou comment obtenir poliment d’un cheval qu’il vous accepte parmi les siens.

Souvent trahie par un regard malicieux, sa voix percutante et rocailleuse cachait un cœur, une intelligence et un humour irrésistibles.

Nous avons tous perdu un gentilhomme, un homme rare, un grand homme.

 

Il arrive qu'une étoile jette un œil sur un vermisseau. J’en parle en connaissance de cause.

 

La première fois que je le vis, c’était en 1984. J’étais en stage à Saumur avec deux chevaux logés au « paddock » à proximité de l’immense manège Margueritte. Je travaillais avec Mireille François qui venait d’arriver sur les pas de Florence Labram.

Des femmes au Cadre, oui… c’est lui qui l’a voulu.

Une révolution que nous lui devons.

Alors que je pansais l’un de mes chevaux, à mon grand étonnement, je le vis arriver en selle sur un quarter horse et me demander si tout se passait bien.

Messieurs les écuyers, eux, ne m’adressaient pas la parole… mais on sait qu’il vaut mieux avoir à faire à Dieu qu’à ses saints.

Il me quitta en me disant que ce quarter horse était un animal charmant !

 

La deuxième fois que je le vis, c’était en 2007 lors du concours international d’attelage de Saumur à Verrie.

J’avais écrit mes premiers récits.

Vital Lepouriel que je connaissais bien pour juger  de temps en temps des concours avec lui, Vital, donc, qui les avait lus, avait eu la gentillesse de les lui montrer.

Le général les avait franchement aimés et m’avait offert une préface si belle et si clairvoyante que je ne peux jamais la relire sans en être émue.

Il avait souhaité me rencontrer.

 

Venue prêter main forte à Vital lors de ce concours à Verrie, il avait été facile d’organiser une entrevue.

Entre deux obstacles, et passant du coq à l’âne nous avions bavardé à bâtons rompus.

Il était à la retraite, après avoir dirigé le Cadre Noir neuf années et l’École Nationale d’Équitation, quatre ans. L’attelage l’intéressait[1]. Il ne l’avait jamais pratiqué, il le regrettait.

Évoquant des souvenirs de guerre, avec un humour caustique, il avait parlé « d’effets pyrotechniques » quand il conduisait ses spahis sous la mitraille…  m’avait expliqué que commander n’est pas difficile, mais que ce qui l’est vraiment, c’est de se faire obéir ! Nous avions parlé de la foi qu’il avait mais qui ne l’empêchait pas de faire des incartades… puis nous avions découvert que nous avions des relations communes. Il m’avait quittée en m’invitant à déjeuner chez lui quand je reviendrais à Saumur.

Bien  entendu j’avais été intimidée.

Lui ? Il avait été délicieux, et devant tant d’honneur et de simplicité,  j’avais été médusée.

En attendant de se revoir, il me téléphonait de temps en temps, s’inquiétait de ce que j’écrivais ou me contait de ces anecdotes dont il avait un inépuisable recueil. Il me faisait rire.

J’adorais entendre sa grosse voix me tomber dans l’oreille :

-Allo ? Général Durand…

 

La troisième fois, ce fut un an plus tard.

Et ce fut la dernière.

Comme j’étais venue un week-end juger un concours d’attelage à une heure de chez lui, il avait été convenu que je viendrai ensuite déjeuner le lundi.

En compagnie de Maïté et Vital Lepouriel, Marie-Odile son épouse et lui-même m’offrir quelques heures d’une élégance et d’une finesse qui  sont devenues rares en notre siècle…

Je partis à regret, sachant que je ne le reverrais probablement jamais.

Les contes de fées ont une fin.

 

Pendant les années qui suivirent, il me téléphona régulièrement. Il se battit pour que j’obtienne le prix Pégase que je tentai deux fois. Deux fois il me donna sa voix aux élections et les deux fois, je ratai le prix d’un cheveu. Un cheveu rétif, probablement… Quand mes récits furent épuisés et sans que je lui demande rien, il se mit en quatre pour qu’ils soient réédités. On n’a pas souvent pareille chance et semblable groupie !

 

Un jour je compris qu’il n’allait pas bien. L’info ne circulait qu’à mots couverts mais comme je ne mesurais pas la gravité de son mal, un tel silence me préoccupait.

Au téléphone, à mes discrets :

- Comment allez-vous ?

Il répondait :

- Ça va, ça va, on fait aller…

Mais quand j’évoquais l’idée de lui rendre visite, il murmurait :

- Je ne suis plus très présentable mon enfant.

Cet aspect qui m’indifférait moins qu’à lui me le garde en mémoire sous une image radieuse, et je comprends qu’il y ait tenu… mais ça me désole parce que j’aurais tellement aimé partager une fois encore ses souvenirs, ses piquantes subtilités.

 

[1] C’est le général Durand qui a créé la section attelage au Cadre Noir et Vital Lepouriel en fut le responsable.

 

Au printemps, voici quelques mois, il me téléphona une dernière fois. Il me parut en forme…  je lui appris la mort de ma jument. Il me réconforta, me parla des siens, qu’il n’avait plus non plus, il regretta que nous ne nous soyons jamais revus.

Il me suggéra de venir… mais des centaines de kilomètres nous séparaient et l’âge qui m’a rattrapée bien que j’ai longtemps galopé devant, n’apprécie plus les grands trajets.

Il était clair que nous ne nous reverrions jamais.

 

Hier il nous a fait de la peine, mais il a retrouvé Myosotis[2]… il est en belle compagnie.

 

Il existe quelque part un ver de terre qui ne se remet pas d’avoir perdu son improbable étoile… mais qui n’en revient toujours pas d’avoir bénéficié de son bel éclat.

 

2 Son cheval attitré au cadre Noir.

§§§

 

 



[1] C’est le général Durand qui a créé la section attelage au Cadre Noir et Vital Lepouriel en fut le responsable.

 


  Commentaires
-"Parenthese de vie" par Bergerie (07/10/2016 16:47:49)
Merci de ce partage de passions et d'amitiés.
Mon épouse a eu l'occasion d'échanger avec le Colonel Durand lors de sa formation au monitorat, à Saumur ...voici presque quarante ans.
Elle m'avait rapporté le même ressenti si bien décrit dans votre fort bel hommage.
Vous lui avez certainement apporté également "un éclat d'étoile".
Je vous remercie.
Didier Decramer